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Abderrahim Tounssi, alias Abderraouf :«Les deux chaînes de télévision du pôle public me tournent le dos»

En imposant un personnage bébête, Abderraouf a fait rire aux larmes des générations de Marocains. Disparu des écrans des deux télévisions publiques nationales où il s’est fait pourtant connaître du grand public, l’humoriste casablancais  n’en continue pas moins de se produire ailleurs.  Le Festival Tifawine de Tafraout lui a  rendu hommage.

Entretien. Libé : Le Festival Tifawine de Tafraout vous a rendu hommage. Quel effet cela vous fait-il? Abderraouf : Bien sûr, c’est un grand honneur pour moi. C’est aussi une reconnaissance et une récompense à une modeste carrière dans la comédie  qui a marqué plusieurs générations.  Quant au fait que cet événement se déroule à Tafraout, ce n’est pas un hasard. La troupe humoristique de Abderraouf a donné plusieurs représentations  dans cette ville dans les années 70 et 80. Aujourd’hui, nombre d’artistes qui m’ont accompagné à l’époque, sont décédés.  Et c’est un grand plaisir que je sois encore en vie pour se voir honoré devant le public tafraouti que j’aime beaucoup.

Gardez-vous encore des souvenirs de votre déplacement à Tafraout à l’époque?

Evidemment! Lorsque nous nous sommes produits à Tafraout, les émissions de la télévision nationale n’y étaient pas encore captables. Donc, les gens ne me connaissaient qu’à travers les cassettes à bande magnétique. C’était le  seul support  audio en usage à l’époque pour l’enregistrement et l’écoute de la musique et des pièces théâtrales. Ce qui fait que les Tafraoutis se bousculaient au portillon; tous voulaient voir Abderraouf. Par ailleurs, il n’y avait pas à Tafraout de théâtre.  Pour que nous nous produisions, c’étaient les autorités locales qui se chargeaient de tout mettre à notre disposition. Je me rappelle qu’on nous aménageait la scène à l’intérieur  du grand édifice abritant  le Pachalik et qui faisait office de bureau de l’administration à l’époque du Protectorat français.  C’étaient ces autorités aussi qui écoulaient les billets d’entrée. Mais, c’était toute la ville qui assistait à nos spectacles. Une fois que l’on couvrait nos frais, tout le monde pouvait rentrer gratuitement!

Ce n’est pas le seul hommage rendu à Abderraouf tout au long de sa carrière, n’est-ce pas?

Vous savez, le plus grand cadeau  qui fasse plaisir à un artiste, est la reconnaissance de ses mérites et compétences. Ce qu’on peut  bouder, ce sont l’oubli et l’ingratitude. Grâce à Dieu, le public marocain sait gré à Abderraouf et sa troupe pour tout ce qu’ils ont donné.  La  ville de Fès m’a rendu un vibrant hommage; le ministère de la Culture a fait de même à Dakhla; au Festival de Meknès, on m’a honoré aussi, etc. Et voilà le tour de Tifawine ! Lorsqu’on  m’a appelé pour me l’annoncer, j’étais tellement heureux, étant très touché par ce grand geste exprimant de la gratitude envers ma modeste personne. J’ai accouru illico, malgré les désagréments dus à l’âge et à la maladie.

Parlons un peu de votre carrière. Quels sont les thèmes de prédilection qu’aborde Abderraouf ?

Tous les sujets à caractère social : le mariage, le divorce ; nous critiquons l’avarice, le mensonge ; nous évoquons les vicissitudes de la vie dure du prolétariat, les conflits entre les gens … Tout en évitant bien sûr d’aborder tout ce qui touche à l’honneur  de nos concitoyens et à la pudeur  publique.  Bref, faire rire, tourner en dérision notre quotidien en blaguant, sans pour autant blesser qui que se soit. C’est notre credo depuis notre  lancement dans cet art.

Si on vous demande de  faire une comparaison entre l’époque de Abderraouf et actuellement, que direz-vous ?  

A notre époque, le champ de la comédie et de l’humour pâtissait d’un vide. Peu de troupes s’activaient dans ce genre artistique. Mais avant nous, il y avait feu Kadmiri qui a excellé dans le divertissement et le rire. Je le considère comme mon école où j’ai appris à sonder les rouages de cet art. Aujourd’hui, on assiste à une prolifération d’acteurs et de troupes humoristiques. Il y en a qui ont bouleversé cet art en imposant de nouvelles approches tels que Bziz, Baz, Naciri, El Fad…, au moment où d’autres ont préféré aller dans le même sillage que nous.

Abderraouf et sa troupe ont-ils changé entre-temps?

Pas du tout.  Nous sommes restés fidèles à nous-mêmes! Mais ce qui a beaucoup changé pour moi, c’est l’attitude des chaînes publiques. Ces dernières refusent désormais de prendre mes œuvres.  A chaque fois que je  leur en fais part, ce sont des promesses vaines que j’ai en retour.  Et du coup, beaucoup de gens croient que Abderraouf a déserté nos deux télés!  Alors que c’est faux. Je ne dis pas que mon produit soit meilleur, mais je considère que seul le public est habilité à juger de la qualité de telle ou telle œuvre artistique !  

Lundi 13 Septembre 2010
ENTRETIEN REALISE PAR IDRISS.OUCHAGOUR /JOURNAL :LIBERATION